Entretien passionnant ! Ma réaction (provisoire, car il faudra que je revienne sur cet entretien) est que le champignon est très inspirant, mais les cueilleurs le sont moins : je doute que le champignon inspire leur réflexion, et pour certains d'entre eux, pense que le seul frein qui les retienne sur la pente d'un capitalisme échevelé et indifférent à l'écologie est le fait que les terres ne leur appartiennent pas et qu'ils ne peuvent pas y faire ce qu'ils veulent. Leur appartiendraient-elles qu'ils se trouveraient probablement vers une économie de plantation et de croissance à tout va. Après tout, ils ne sont pas anticapitalistes, mais seulement anticommunistes.
Heuu.. je suis cueilleur de matsutake depuis 6 ans dans l'ouest canadien. D'abord ici on cueille les matsutake principalement dans des forets primaires, donc justement non touchées ou presque par l'activité humaine, moi j'évite les seconde génération de pousse, encore plus les troisièmes. Dire que les cueilleurs n'ont aucune idée de l'environnement dans lequel ils cueillent et se tourneraient vers l'agriculture ou la coupe tant qu'on y est! s'ils possédaient la terre, est complètement absurde! Sur quoi te bases tu pour sortir une idée aussi faible et fausse? Evidemment que les forets ont un effet sur les cueilleurs, les inspire, les travaille, leur impose le respect... et je connais bien assez de cueilleurs de matsutake pour savoir ce dont je parle. Beaucoup de cueilleurs ici sont des natifs, le matsutake pousse sur leurs terres ancestrales, certaines sont intouchables, la plupart sont considérées comme des terres publiques, donc potentiellement dans les mains des compagnies forestières qui ne possèdent pas plus la terre que les cueilleurs. Certains patch de matsutake sont dans des parc provinciaux, par exemple le tweedsmuir provincial park. Les cueilleurs de matsutake, ici au Canada, sont principalement des gens qui ont choisi un mode de vie plus ou moins nomade, "en marge" sans doute mais je doute que ce concept ne soit pas chargé d'idées fausses et préconçues. une petite anecdote, Isabelle Stengers, qui a préfacé la traduction française du bouquin d'Anna Tsing ("les champignons de la fin du monde") a été la directrice de mon mémoire en philosophie.
Aussi, j'ai entendu parlé d'Anna Tsing dans un camp de cueilleur de morille en colombie britannique! Comme quoi, les cueilleurs de champignons de ne sont pas les imbéciles que tu décris!
@@nimto3383 Bonjour, je serais très intéressé pour échanger sur votre parcours qui me semble très fertile. Est ce que votre mémoire philosophie avait aussi un rapport avec nos amis les fongus ?
@@charliemerlinmalo Bonjour! Merci de manifester votre intérêt! Mon mémoire en philosophie n'était pas lié aux monde des champignons, mais tentait d'établir une relation entre le capitalisme comme paradigme dominant et la création de subjectivités au sein de ce paradigme, en mettant en relation (en opposition) une perspective deleuzienne et une perspective lacanienne (celle de Slavoj Zizek)... tout cela était un peu technique. Le monde des champignons, j'ai été plongé dedans tout petit quand j'accompagnais mon père dans les cueillettes du weekend: bien loin de la cueillette commerciale, capturée, de manière souvent malheureuse, dans le système du capitalisme global. Les champignons cueillis ici sont vendus en France (les morilles principalement), au Japon (les matsutake), aux Etats-Unis... seule une petite partie est vendue localement. Il me semble que les cueilleurs ont bien conscience de cet état de chose, le regrettent pour la plupart, malgré que leur recette en dépend. C'est un paradoxe avec lequel il n'est pas facile de composer. Un concept intéressant développé par Isabelle Stengers est celui de la "capture capitaliste": même ce qui se dit, se veut, éloigné, en marge, ou même en opposition au paradigme capitaliste, est souvent "capturé" par celui-là même. L'économie du champignon sauvage est selon moi un bon exemple de ce système de capture capitaliste. Les cueilleurs, par le seul fait de vendre leur cueillette, dépendent, presque malgré eux, d'un système d'offre/demande, de l'élasticité des prix d'achat (jusqu'à quel prix minimum à la livre y aura-t-il encore suffisamment de cueilleur pour répondre à la demande du marché)... Cela va même plus loin: les cueilleurs doivent la plupart du temps parcourir de longues distances en voiture, en quad, même en hydravion ou pire en hélico pour atteindre les bons endroits, ils dépendent énormément des énergies fossiles. Ils empruntent les routes de coupe forestière, sans lesquelles il serait souvent impossible de parcourir assez d'espace de forêt, les mêmes coupes forestière sur lesquelles tous les cueilleurs pestent régulièrement. La cueillette de produits sauvages dans un but commercial est remplie de paradoxe, mais les cueilleurs pour la plupart les connaissent, composent avec, les regrettent souvent. Je pense que les forêts ont une puissance très particulière, qui ne laisse aucun cueilleur indifférent, de même que les rencontres régulière avec les ours, les perdrix, les élans, les mousses épaisses. Cette puissance, moi, elle m'apprend et me pousse à dépasser le cadre de la cueillette commerciale, à l'arrêter même, pour reproduire, dans un petit jardin, cette facilité qu'à la nature à produire de quoi nourrir. Bref, chez moi, la cueillette commerciale de produit sauvage, grâce aux rencontres qu'elle a permise, me pousse lentement mais surement vers la permaculture, le "natural farming".
@@nimto3383 Bonjour et merci pour cette réponse qui ouvre de nombreuses pistes de reflexions !! Surtout étayé par ton experience sur le terrain. je trouve super d'avoir construit/deconstruit l'architecture, le biotope, les strategies de survie et de "capture" de la créature capitalisme, quand on l'envisage sous un aspect naturaliste, comme un organisme, cela permet d'aller au delà de l'indignation qu'elle soit fertile ou paralysante, et de peut-être detecter les niches, des anfractuosités, des sentiers qui nous permettrait de s'établir sur une paralléle, avec quelques passerelles. En tirant le fil, on en vient tous à la permaculture, à l'agroforesterie, au désir de trouver une forme d'autonomie alimentaire et energetique. à voir comment déjà cette perspective est capturée par le business autour du survivalisme, de toutes l'économie du stage.... En tout cas cette forme de vie qu'est le champignon et sa symbiose avec le vegetal, peut sans doute être une bonne piste pour creer un modéle alternatif, rhysomatique et mycellien. Dans un premier temps il faut que je trouve le temps de lire Anna Tsing et Paul Stamets. Si tu as d'autres ouvrages ou auteurs à me conseiller je suis preneur. voici mon adresse secret.bertrandarobasegmail.com Je suis en train d'acheter une maison avec du terrain en bordure de forêt de broceliande, et j'ai hâte de faire pousser des champigons :) à +
Entretien passionnant ! Ma réaction (provisoire, car il faudra que je revienne sur cet entretien) est que le champignon est très inspirant, mais les cueilleurs le sont moins : je doute que le champignon inspire leur réflexion, et pour certains d'entre eux, pense que le seul frein qui les retienne sur la pente d'un capitalisme échevelé et indifférent à l'écologie est le fait que les terres ne leur appartiennent pas et qu'ils ne peuvent pas y faire ce qu'ils veulent. Leur appartiendraient-elles qu'ils se trouveraient probablement vers une économie de plantation et de croissance à tout va. Après tout, ils ne sont pas anticapitalistes, mais seulement anticommunistes.
Heuu.. je suis cueilleur de matsutake depuis 6 ans dans l'ouest canadien. D'abord ici on cueille les matsutake principalement dans des forets primaires, donc justement non touchées ou presque par l'activité humaine, moi j'évite les seconde génération de pousse, encore plus les troisièmes. Dire que les cueilleurs n'ont aucune idée de l'environnement dans lequel ils cueillent et se tourneraient vers l'agriculture ou la coupe tant qu'on y est! s'ils possédaient la terre, est complètement absurde! Sur quoi te bases tu pour sortir une idée aussi faible et fausse? Evidemment que les forets ont un effet sur les cueilleurs, les inspire, les travaille, leur impose le respect... et je connais bien assez de cueilleurs de matsutake pour savoir ce dont je parle. Beaucoup de cueilleurs ici sont des natifs, le matsutake pousse sur leurs terres ancestrales, certaines sont intouchables, la plupart sont considérées comme des terres publiques, donc potentiellement dans les mains des compagnies forestières qui ne possèdent pas plus la terre que les cueilleurs. Certains patch de matsutake sont dans des parc provinciaux, par exemple le tweedsmuir provincial park. Les cueilleurs de matsutake, ici au Canada, sont principalement des gens qui ont choisi un mode de vie plus ou moins nomade, "en marge" sans doute mais je doute que ce concept ne soit pas chargé d'idées fausses et préconçues. une petite anecdote, Isabelle Stengers, qui a préfacé la traduction française du bouquin d'Anna Tsing ("les champignons de la fin du monde") a été la directrice de mon mémoire en philosophie.
Aussi, j'ai entendu parlé d'Anna Tsing dans un camp de cueilleur de morille en colombie britannique! Comme quoi, les cueilleurs de champignons de ne sont pas les imbéciles que tu décris!
@@nimto3383 Bonjour, je serais très intéressé pour échanger sur votre parcours qui me semble très fertile. Est ce que votre mémoire philosophie avait aussi un rapport avec nos amis les fongus ?
@@charliemerlinmalo Bonjour! Merci de manifester votre intérêt! Mon mémoire en philosophie n'était pas lié aux monde des champignons, mais tentait d'établir une relation entre le capitalisme comme paradigme dominant et la création de subjectivités au sein de ce paradigme, en mettant en relation (en opposition) une perspective deleuzienne et une perspective lacanienne (celle de Slavoj Zizek)... tout cela était un peu technique. Le monde des champignons, j'ai été plongé dedans tout petit quand j'accompagnais mon père dans les cueillettes du weekend: bien loin de la cueillette commerciale, capturée, de manière souvent malheureuse, dans le système du capitalisme global. Les champignons cueillis ici sont vendus en France (les morilles principalement), au Japon (les matsutake), aux Etats-Unis... seule une petite partie est vendue localement. Il me semble que les cueilleurs ont bien conscience de cet état de chose, le regrettent pour la plupart, malgré que leur recette en dépend. C'est un paradoxe avec lequel il n'est pas facile de composer. Un concept intéressant développé par Isabelle Stengers est celui de la "capture capitaliste": même ce qui se dit, se veut, éloigné, en marge, ou même en opposition au paradigme capitaliste, est souvent "capturé" par celui-là même. L'économie du champignon sauvage est selon moi un bon exemple de ce système de capture capitaliste. Les cueilleurs, par le seul fait de vendre leur cueillette, dépendent, presque malgré eux, d'un système d'offre/demande, de l'élasticité des prix d'achat (jusqu'à quel prix minimum à la livre y aura-t-il encore suffisamment de cueilleur pour répondre à la demande du marché)... Cela va même plus loin: les cueilleurs doivent la plupart du temps parcourir de longues distances en voiture, en quad, même en hydravion ou pire en hélico pour atteindre les bons endroits, ils dépendent énormément des énergies fossiles. Ils empruntent les routes de coupe forestière, sans lesquelles il serait souvent impossible de parcourir assez d'espace de forêt, les mêmes coupes forestière sur lesquelles tous les cueilleurs pestent régulièrement. La cueillette de produits sauvages dans un but commercial est remplie de paradoxe, mais les cueilleurs pour la plupart les connaissent, composent avec, les regrettent souvent. Je pense que les forêts ont une puissance très particulière, qui ne laisse aucun cueilleur indifférent, de même que les rencontres régulière avec les ours, les perdrix, les élans, les mousses épaisses. Cette puissance, moi, elle m'apprend et me pousse à dépasser le cadre de la cueillette commerciale, à l'arrêter même, pour reproduire, dans un petit jardin, cette facilité qu'à la nature à produire de quoi nourrir. Bref, chez moi, la cueillette commerciale de produit sauvage, grâce aux rencontres qu'elle a permise, me pousse lentement mais surement vers la permaculture, le "natural farming".
@@nimto3383 Bonjour et merci pour cette réponse qui ouvre de nombreuses pistes de reflexions !! Surtout étayé par ton experience sur le terrain.
je trouve super d'avoir construit/deconstruit l'architecture, le biotope, les strategies de survie et de "capture" de la créature capitalisme, quand on l'envisage sous un aspect naturaliste, comme un organisme, cela permet d'aller au delà de l'indignation qu'elle soit fertile ou paralysante, et de peut-être detecter les niches, des anfractuosités, des sentiers qui nous permettrait de s'établir sur une paralléle, avec quelques passerelles.
En tirant le fil, on en vient tous à la permaculture, à l'agroforesterie, au désir de trouver une forme d'autonomie alimentaire et energetique. à voir comment déjà cette perspective est capturée par le business autour du survivalisme, de toutes l'économie du stage....
En tout cas cette forme de vie qu'est le champignon et sa symbiose avec le vegetal, peut sans doute être une bonne piste pour creer un modéle alternatif, rhysomatique et mycellien.
Dans un premier temps il faut que je trouve le temps de lire Anna Tsing et Paul Stamets. Si tu as d'autres ouvrages ou auteurs à me conseiller je suis preneur. voici mon adresse secret.bertrandarobasegmail.com
Je suis en train d'acheter une maison avec du terrain en bordure de forêt de broceliande, et j'ai hâte de faire pousser des champigons :)
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