“Tristes tropiques” de Lévi-Strauss. L’invitation au décentrement
Вставка
- Опубліковано 28 січ 2025
- “Adieu sauvages, adieu voyages”
Les tropiques ne sont pas enchanteurs. Ils sont tristes, ils sont tristes, non pas en tant que tels, mais ils sont tristes parce qu'ils sont souillés par la prolifération occidentale et ils sont tristes parce qu'ils sont tragiques. Ils sont tristes comme est triste le regard du jeune Indien Nambikwara sur la couverture. Il y a une sorte de mélancolie. Vincent Debaene
A la question “comment devient-on ethnologue ?“ que posait Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, on serait tenté de répondre rétrospectivement : en lisant Tristes tropiques, tant à sa lecture médecins, philosophes et sociologues se sont convertis à l’ethnologie et sont partis faire des terrains aux quatre coins du monde.
«L'un des ressorts de l'écriture de Tristes tropiques, c'est l'identification entre son expérience de "gibier de camp de concentration" comme il dit dans le Tristes tropiques. Il y a une proximité entre cette expérience de "gibier de camp de concentration" qui est la sienne dans les années 40 et l'expérience de "gibier de la civilisation mécanique ", qui est une autre formule du livre qu'il emploie pour désigner les Nambikwara.»
一 Vincent Debaene
A l’étroit dans leurs sociétés, affectés par la crise profonde de l’identité occidentale induite par la seconde guerre mondiale et la situation d’empire colonial, de nombreux lecteurs y ont trouvé un miroir et un révélateur de leurs aspirations profondes.
«Je trouvais qu'avec une anthropologie, au moins, c'était le concept numéro un. Qu'est-ce qu'on fait de ce corps avec lequel on est et qui est une source d'identité sexuée et sexuelle, qu'on peut marquer jusqu'à des interventions très dures comme l'excision ou l'infibulation ?»
一 Samia Salah
Tristes tropiques est pourtant un récit d’ailleurs, de l’incertaine rencontre avec le plus lointain. Alors pourquoi ? C’est que les Indiens du Brésil incarnaient une altérité humaine non touchée par l’Occident, engageant Lévi-Strauss dans une vaste méditation philosophique sur la façon d’être au monde, qui fait résonner les longues ondes de la crise de l’Occident jusqu’à aujourd’hui.
«Ce qui est assez beau dans Tristes Tropiques, c'est justement son côté très rousseauiste, c'est à dire qu'à la fois, il y a un pari sur le savoir européen, sur l'écriture comme possibilité de sauver ce qui va être détruit. Et en même temps, il y a la conscience quand même sous jacente que tout cela est vain et que le monde va disparaître.»
一Vincent Debaene
Dans ce documentaire, des lecteurs passionnés et engagés racontent combien Tristes tropiques a changé leur vie et combien il est encore un miroir dans lequel déchiffrer le présent.
Avec :
Vincent Debaene, professeur de littérature à l’université de Genève, éditeur du volume Lévi-Strauss dans la Pléiade, auteur de L'adieu au voyage. L'ethnologie française entre science et littérature (Gallimard) ; Nastassja Martin, anthropologue, spécialiste des mondes arctiques, auteur de Les âmes sauvages (La Découverte, 2016) et Croire aux fauves (Verticales, 2018) ; Frédéric Keck, anthropologue, directeur du Laboratoire d’Anthropologie Sociale au Collège de FranceEmmanuel Terray, anthropologue, spécialiste de l’Afrique ; Samia Salah, enseignante de philosophie au lycée à Montreuil, qui a correspondu avec Lévi-Strauss pour témoigner de l’importance de Tristes Tropiques pour elle et pour ses élèves.
Série « Livres cultes pour lecteurs rebelles » - Une série documentaire de Elise Gruau, réalisée par Anna Szmuc - Épisode 1/4 - France Culture - Lundi 16 mars 2020.