Un dépôt d'or pur (Simone Weil)

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  • Опубліковано 6 лют 2025
  • Dans une lettre à ses parents datée du 18 juillet 1943 (lettre qu’on trouvera plus bas dans son intégralité), Simone Weil parle de la certitude intérieure croissante qu’elle éprouve qu’il se trouve en elle un “dépôt d’or pur qui est à transmettre” ; que c’est un bloc massif, qui croît avec le temps et l’expérience, qui ne peut être distribué par petits morceaux ; que certains, autour d’elle, le sentent confusément, soulignent son intelligence mais se refusent cependant à l’effort d’attention qui permettrait de recevoir le bloc tout entier ; alors ils disent : “C’est très intéressant” et puis passent à autre chose.
    Ce passage (lu dans l’enregistrement joint) est étonnant et énigmatique ; de quoi parle-t-elle ?
    Les esprits mystiques, au premier rang desquels Marie-Madeleine Davy*, voient dans ce passage une sorte de Coming out, de confession spirituelle dans laquelle Simone Weil tenterait d’expliquer à sa mère (car c’est à elle que ce propos précisément s’adresse) la conviction d’avoir trouvé au fond d’elle-même, de son intériorité, le trésor de lumière, la transparence, la flamme, Dieu. Compte tenu de la personnalité de Simone Weil, de ses convictions, un tel aveu aurait du sens. Mais il serait bien impudique venant de la si pudique Simone Weil, qui n’a pas l’habitude des grandes démonstrations, surtout dans ces matières. Et pourquoi est-ce à sa mère que cet aveu serait destiné ?
    Deux semaines plus tard, le 4 août 1943, Simone Weil revient sur ce même sujet dans une autre lettre à ses parents mais elle le fait dans un passage un peu décousu, relatif aux fous, qui n’éclaire pas beaucoup notre lanterne même si peut-être y transparaît, plus sans doute que la première fois, un certain désespoir :
    L’or pur, ici, est celui de la vérité, des “vérités pures, sans mélange, lumineuses, profondes, essentielles.” C’est la vérité que détiennent et clament les fous des pièces de Shakespeare, qu’on refuse de prendre au sérieux du fait de leur folie - comme, dit Simone Weil, on refuse de considérer la vérité de ses propos à elle du fait de son intelligence, de ses études, de son statut d’intellectuelle.
    Mais à nouveau de quels propos parle-t-elle ? De quoi devrait on dire : “Dit-elle vrai ou non ?”
    Introduisant le colloque de Cerisy organisé en 2017 sur le thème “Simone Weil, réception et transposition”, Robert Chenavier reprenait le propos de Simone Weil sur le bloc d’or et y voyait une métaphore de la philosophie, cette matière qui, comme l’or, exige un travail de purification pour être produite, et qui ne peut être convenablement reçue et comprise que par un effort véritable d’attention. Et dans la mesure où, au fond, l’objet de la philosophie est la vérité, il s’agit effectivement moins d’une oeuvre de création que d’une oeuvre de restauration, d’un dépôt à transmettre ; un dépôt d’or dont la mine est elle inépuisable.
    Je reste néanmoins stupéfait par les mots employés. Quelle assurance ou quel orgueil de parler de dépôt d’or pur. A moins qu’il ne s’agisse de cette humilité folle des croyants et des mystiques qui pensent n’être que les dépositaires, les passeurs, d’une vérité dont ils ne sont que les gardiens.
    Le 24 août 1943, quelques semaines après cet échange de lettres, Simone Weil meurt. Elle meurt de tuberculose mais aussi d’une sous-alimentation qu’elle semble avoir choisie.
    A la lumière de ce choix désespéré, on pourrait lire dans les mots de la lettre du 18 juillet - lire aussi a minima - l’expression non pas d’un regret mais du constat désabusé d’une jeune femme expliquant que si elle restée seule dans sa vie, c’est parce que nul n’a voulu la considérer, l’accepter, la recevoir, l’embrasser dans son entièreté, son authenticité. Une telle interprétation fleur bleue peut choquer et colle mal à l’image de sainte combattante, bien éloignée d’une midinette, qu’on a de Simone Weil ; mais s’agissant de la réponse d’une fille à sa mère qui lui disait probablement (mais on n’a pas la lettre) qu’elle avait quelque chose à donner, à offrir, elle ne serait pas totalement absurde. Il ne s’agit d’ailleurs pas (pas du tout !) pour Simone Weil d’une lamentation sur son pauvre sort mais plutôt d’une justification, d’une défense et illustration de ses choix de vie fondamentaux : dans l’amour de Dieu, Simone a trouvé cette capacité à embrasser la totalité et à être entièrement aimée que l’amour humain ne connaît pas.
    Je crois qu’il y a une part de vrai dans chacune de ces interprétations.

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