Daaray Kocc de Cheikh Tidiane DIOP par Sémou MaMa DIOP

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  • Опубліковано 3 гру 2024
  • NOUS REGARDIONS NOTRE REFLET DANS UN MIROIR BRISE
    Cheikh Tidiane Diop nous a quittés le 25 novembre 2002, emportant avec lui une vision acérée, un œil perçant sur les maux qui rongeaient, et qui rongent toujours, notre société sénégalaise. Par ses œuvres cinématographiques et sa troupe légendaire, Daaray Kocc, Diop avait amorcé une réflexion profonde, une méditation sans concession sur les travers de notre société, utilisant le théâtre comme une arme pour éveiller les consciences, pour réveiller les âmes endormies par l’habitude, par l’injustice, par le poids de traditions mal comprises.
    Ah, Daaray Kocc ! Cette troupe, ce miroir tendu à notre société, où se mêlaient tradition et modernité, où la culture populaire se retrouvait sublimée dans une danse incessante entre la satire et le drame. Les thèmes abordés par leurs créations théâtrales résonnent encore dans nos cœurs, ainsi que des clameurs persistantes des luttes contre l’oppression, des conflits intergénérationnels, des questions de genre et des dynamiques de pouvoir. Ils parlaient de nous. Ils parlaient pour nous, avec nous. Avec un réalisme brutal mais nécessaire. Dans une langue wolof épurée de tout chauvinisme. Sans brutalité ni démagogie.Le mardi soir, toute la famille se réunissait devant le petit écran, une habitude sacrée, un rendez-vous incontournable.
    Daaray Kocc et Diamonay Tay son alter ego, c’étaient nos amis, nos confidents, des membres de notre famille. Comment ne pas parler d’eux sans une émotion certaine, sans cette nostalgie douce-amère qui serre le cœur ? « Appolo », « Yadikone », « Khandjou », « Mbaye Délégué », « Malaye Comptable », « Ibra l’Italien », « Baye Yéli », « Makhou », « Baye Peulh » et tous ces autres personnages qui, par leur verve, leur humour et leur profondeur, ont su toucher des millions de Sénégalais. C’était une époque où le théâtre n’était pas seulement un divertissement, mais un outil de changement social, un espace où la critique pouvait s’exprimer librement, où l’art était un reflet de la vie. Cette époque dura plusieurs décennies et atteindra son point culminant lors de la diffusion à la télévision nationale du feuilleton « Un DG peut en cacher un autre ».
    Avec une ironie mordante, Diop y a dépeint les arcanes sombres de la corruption, du népotisme, de la prévarication. Là où d’autres détournaient les yeux, lui posait des questions. À travers ce feuilleton, il ne se contentait pas de critiquer. Il interpellait. Il exigeait des réponses. Il ouvrait le débat. Il nous montrait comment, sous le vernis de la respectabilité, pouvaient se cacher des pratiques qui sapaient les fondements mêmes de la justice sociale. Il nous forçait à regarder notre reflet dans ce miroir brisé qu’il tenait devant nous.
    Ce reflet, cette image de nous-mêmes, il l’a laissée à d’autres pour la porter plus loin. Aujourd’hui, des figures et mouvements divers prennent le relais, mais comment oublier que c’est Diop qui a posé les premières pierres de cette quête de transparence et de justice ? Comment oublier ce formidable échange entre le DG Fall (incarné par l’excellent Moustapha Diop) et le sous-directeur Mbengue (interprété avec brio par Boubacar Kane), dans les premières minutes du feuilleton, où toute une philosophie de la vie, du travail, de la bonne gouvernance était condensée en quelques mots ?« Il y a une seule façon de redresser, c’est par le travail, et elle est universelle. »Oui, ces mots résonnent encore ! Ils résonnent dans nos consciences. Ils éveillent en nous le souvenir d’une époque où des artistes humbles, mais géniaux, ont semé les graines d’un mouvement. Un mouvement qui voyait dans la connaissance de sa culture, dans l’amour de son pays, dans la probité, le respect, la tolérance et l’ouverture au monde, les fondements d’une renaissance sénégalaise, conçue par des Sénégalais, pour des Sénégalais. Ce n’était pas des idées importées mais trempées dans l’audace et la novation. C’étaient les nôtres, celles qui devaient guider notre chemin.Hélas, combien d’entre eux nous ont quittés dans le dénuement le plus absolu, sans avoir touchés la moindre pension de retraite, sans aucune couverture sociale, sans reconnaissance, sans même qu’une rue, une école, ou une salle de théâtre ne porte leur nom.
    Leur héritage, il est là, il continue de vivre, de vibrer, de façonner les dynamiques politiques et culturelles de notre pays. Le Sénégal d’aujourd’hui, celui qui cherche à s’affirmer sur la scène mondiale tout en restant maître de son propre récit, doit beaucoup à ces pionniers, à ces artistes qui ont osé rêver, osé créer, osé dénoncer. Cheikh Tidiane Diop et Daaray Kocc ont gravé leur nom dans l’histoire culturelle du Sénégal, et il est de notre devoir de faire en sorte que cette histoire ne sombre jamais dans les abysses de l’oubli.
    Sémou MaMa DIOP

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