Sogui, chanson de Souleymane Faye (Diégo), commentée par Sémou MaMa DIOP
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- Опубліковано 21 гру 2024
- SOGUI : « NOUS AVONS L’ART POUR NE PAS MOURIR DE LA VIE. »
En cette année 1991, Souleymane Faye alias Diégo, marche seul dans la poussière brûlante d’un chemin qu’il connaît trop bien, celui de la perte. Le monde s’effondre toujours en silence, par fragments minuscules, quand un ami s’en va. Et Sogui, son ami d’enfance, est parti. Parti comme on s’évapore, sans bruit, sans fureur, laissant derrière lui un vide immense, un gouffre dans lequel Faye tombe et se relève à chaque note. Car il faut vivre, n’est-ce pas ? Même avec le poids des absents sur les épaules.
Mais l’artiste a cette arme sublime que Nietzsche avait perçue : "Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vie." L’art, oui, seule bouée dans cette mer noire où la mort nous traque, où chaque souffle est un sursis. Alors, Souleymane Faye chante. Il chante Sogui, ce frère, ce nom qui claque comme un étendard dans le vent. "Kenn la fi won te do tul niaar", murmure-t-il. Il était unique, un être façonné par la main de Dieu, et nul autre ne pourra jamais porter sa lumière.
Diégo, désormais seul, porte son regard loin dans l’enfance, cette terre insouciante où les jours s’écoulaient sans que la mort ait encore montré ses crocs. Ils couraient ensemble, lui et Sogui, comme des oiseaux libres sous le ciel immense. À cet âge, on ignore que l’on mourra. À cet âge, la vie est un soleil qui ne s’éteint pas. Et pourtant, le temps, ce grand fossoyeur, est passé par là. Puis la mort, cette hyène insatiable, est venue cueillir son ami, comme elle cueillera en 1988 Prosper Niang, ce frère d’armes, batteur et leader du groupe Xalam.
Depuis, tout a changé. L’art est devenu pour Faye un sanctuaire, un moyen de se tenir debout face à l’horreur irrésistible de la finitude. Car il faut bien s’armer pour ne pas sombrer, s’armer de mots, de notes, de prières, afin de peindre sur les ténèbres l’éclat des absents. Avec « Sogui », Diégo fait ce que seuls les grands artistes savent faire : il sublime la douleur, il transforme la perte en beauté. Ce chant, d’une douceur saisissante, n’est pas un sanglot mais un cri d’amour, un cri de résistance.
Sogui était un garçon, une époque, une nation, un monde où les liens avaient un poids, une valeur sacrée. Dans cette chanson, Souleymane Faye le ressuscite, le porte au pinacle des saints du panthéon sénégalais, ces âmes pures qui ont lutté pour leur dignité. Il le compare à Che Guevara, l’homme de révolte, comme pour dire que l’ami disparu appartient désormais à l’éternité des héros. Car que reste-t-il d’eux, sinon ce que nous choisissons d’en faire ? La mort efface, mais l’art conserve et magnifie.
Souleymane Faye, tel un griot des temps modernes, fait de la musique son arme contre l’oubli. Lui qui, après la mort de son ami « Sogui », semblait errer dans une solitude silencieuse, trouve dans la foi et la prière un refuge. Il revient à Dieu, ce Dieu silencieux mais immuable, et lui confie ses larmes, ses regrets, son espoir. « Sogui », c’est sa confession, son psaume. C’est une lumière qu’il dépose sur la tombe de son ami pour qu’elle brille encore, pour qu’elle réchauffe ceux qui l’écoutent.
À travers ce chant, Souleymane Faye rappelle une vérité aussi vieille que le monde : l’art est un acte de survie. Sans lui, la douleur serait insoutenable, la mort serait définitive, le vide serait total. Mais grâce à la musique, grâce aux mots, Sogui vit encore. Il vit dans le souffle des notes, dans le frisson des voix qui murmurent son nom, dans le cœur de ceux qui ont connu ce qu’était l’amitié vraie, celle qui défie même la tombe.
Sogui ne mourra pas. Pas tant que son nom sera porté par ce souffle d’artiste qui sait que l’art, lui seul, est capable de faire reculer la nuit.
Sémou MaMa DIOP